Feu de dragon
Marièke Poulat
Bibop était un petit dragon aux écailles orange. Il habitait la Montagne Grise avec sa maman depuis qu'il était né. Cela faisait bientôt cent ans. Cent ans, c'était l'âge de raison des dragons. Bibop allait enfin apprendre à cracher du feu. Il attendait ce moment avec impatience.
Le jour de son anniversaire arriva enfin. Bibop se leva tout joyeux et entra dans la cuisine en chantonnant. Sa maman sursauta et cacha quelque chose dans son dos.
— Bibop ! Je ne t'avais pas entendu arriver ! Bon anniversaire mon chéri.
Elle posa un torchon sur ce qu'elle était en train de faire et s'approcha de lui. Elle lui fit un bisou sur le front.
— Que veux-tu manger ?
Il voulait du mouton grillé. Elle sourit. C'était son encas préféré. Pendant qu'elle cuisinait, Bibop se glissa derrière elle et alla soulever le torchon. Il était persuadé qu'il trouverait le manuel du petit cracheur de feu. Il fut déçu de découvrir un livre sur le vol.
— Bibop ! C'était pour ce soir ! fit sa maman.
— C'est pas ça que je voulais ! répliqua le petit dragon.
La mine de sa maman changea. Elle fronçait les sourcils. Elle soupira et s'assit. Elle invita Bibop à faire de même mais il était trop agacé pour obéir.
— Tu voulais tellement cracher du feu que je n'ai jamais su comment te le dire... Ton papa était un lézard géant.
— Qu'est-ce que ça veut dire ?
— Ça veut dire que tu ne pourras jamais cracher du feu.
Jamais. Cracher. Du. Feu. Le cœur de Bibop s'arrêta de battre et repartit beaucoup plus fort. Il ne pouvait pas y croire. Ce n'était pas possible. Il en avait toujours rêvé !
— Ça ne veut pas dire que tu ne seras pas un vrai dragon. Tu es même celui qui vole le mieux ! continua sa maman. Mais il faut que tu acceptes que tu ne pourras pas cracher du feu. Je suis désolée, Bibop.
— Ce n'est pas possible ! hurla le petit dragon en mettant sa tête entre ses pattes.
Il n'avait jamais été aussi triste. Il se saisit de son petit sac à dos et sortit en claquant la porte. Il imaginait déjà les moqueries de ses camarades quand ils apprendraient qu'il ne pourrait jamais cracher de feu. Au bout de la rue, l'école était à droite, la sortie du village à gauche : il préféra quitter le village. Arrivé à la sortie, il décolla.
Il n'avait jamais volé tout seul aussi loin de chez lui. Il ressentit un sentiment de fierté et de liberté. Il avança encore. Monta encore plus haut. Le village n'était plus qu'un petit point sur la Montagne Grise. Et bientôt, la Montagne Grise s'effaça à son tour. Au même moment, la Montagne Rouge apparut à l'horizon : on l'appelait ainsi car de la lave rouge et brûlante en sortait quand elle se mettait en colère. Il eut alors une idée un peu folle. Si sa maman ne voulait pas lui apprendre à cracher du feu, la Montagne Rouge le ferait. Il bifurqua dans sa direction.
Bibop volait depuis plusieurs heures. La Montagne Rouge avait grandi. Elle grondait très fort. Les autres animaux fuyaient mais Bibop avança encore, jusqu'à la toucher. Le petit dragon voulait monter jusqu'en haut. Il vola jusqu'au cratère. De la fumée s'en échappait. Au fond de la montagne, il y avait aussi de la lave en ébullition. Mais Bibop voulait encore s'en approcher. Il voulait comprendre le phénomène pour le reproduire. Comment pouvait-il créer du feu dans sa gorge ? Bibop descendit un peu dans le cratère. Il planait à mi-hauteur, quand la lave commença à monter.
— Montagne ? cria-t-il. Montagne ! Dis-moi comment tu fais ? Mon...
Il n'eut pas le temps de finir sa phrase. Une violente secousse entraîna la chute d'une roche qui vint frapper son aile gauche. Il perdit l'équilibre, cria, et parvint tant bien que mal à s'agripper à la paroi. La douleur irradiait son aile. Elle devait être cassée : impossible de voler. Il commença à paniquer. Il sentait la lave se rapprocher sous ses pattes tremblantes...
Soudain, un vent frais balaya ses épaules. Il leva les yeux et reconnut sa maman.
— Ne bouge pas, je vais te sortir de là ! lui cria-t-elle.
Elle entoura son corps de ses serres puissantes et l'arracha à la paroi. Elle le souleva rapidement dans les airs, hors du cratère. Plusieurs dragons du village les attendaient, planant au-dessus de la Montagne Rouge. Ils avaient accompagné sa maman pour l'aider à le retrouver. Ils partirent devant en les voyant arriver tous les deux.
Leur groupe n'était qu'à quelques centaines de mètres de la Montagne Rouge quand celle-ci explosa. De la lave gicla dans tous les sens. Des rochers enflammés fusèrent. Pour s'en protéger, les dragons crachèrent leurs flammes en direction des projectiles, ce qui les bloqua. Ils étaient saufs !
Ils s'arrêtèrent trois heures plus tard. Les dragons se tournèrent vers Bibop.
— Heureusement que les oiseaux ont pu nous dire dans quelle direction tu allais. On a failli arriver trop tard !
— Je me demande bien pourquoi tu es allé dans le cratère...
— Je voulais apprendre à cracher du feu comme la montagne, fit Bibop en s'époussetant.
Les dragons ouvrirent de grands yeux.
— Ton fils est inconscient ! dit un premier dragon à l'attention de la maman de Bibop.
— Il vous a mis tous les deux en danger, ajouta une autre dragonne.
Bibop était au bord des larmes. Il se sentait coupable d'avoir mis en danger la vie de sa maman.
— Arrêtez ! s'exclama la maman de Bibop. Vous ne voyez pas qu'il se sent déjà assez mal ? Moi, j'ai vu un petit dragon déterminé et très courageux.
Les dragons se turent et elle s'approcha de son fils.
— Je suis désolée de ne t'avoir rien dit au sujet de ton papa. Si tu avais su la vérité, tu n'aurais jamais tenté une aventure pareille. Je ne te mentirai plus.
Bibop sourit et serra très fort sa maman de son aile valide. Son ventre gargouilla alors très fort. Elle rit :
— Allez, rentrons ! Ton mouton grillé t'attend à la maison.